Le sac en raphia débordait de papier, de cartes postales, de lettres, de prospectus de toutes sortes. Les pubs en papier glacé s’obstinaient à glisser l’une sur l’autre sur le tapis. Dans un mouvement d’humeur je les ramassai pour tenter de les fourrer à nouveau dans ce qui leur servait de boîte à archives depuis si longtemps.
Un coup d’œil aux dates et me voilà engluée dans le passé comme dans une toile d’araignée, à ne plus pouvoir m’en libérer.
Cela fait donc trente ans cette année !
Je répands sur le sol, volontairement cette fois, la correspondance oubliée et me mets à relire fébrilement ses pauvres arguments désespérés, ses excuses qui n’en sont pas, ses raisons égocentristes. Tout cela dans un français laborieux et imagé qui ne facilite pas la compassion.
Me revient en mémoire ce proverbe oriental : On ne peut pas rattraper le duvet d’une poule qu’on a plumée ! On ne peut pas effacer le mal qu’on a causé. Seul, le temps…
Justement.
La postérité.
Mais que va-t-elle en faire ? Quelle image tourmentée va-t-elle conserver de moi, de ma colère, de mon intransigeance ? De quel adjectif serai-je qualifiée au bord de ma tombe ouverte ? La vérité pour la vérité, quelle importance ? Et si , moi, j’avais eu tort ?
Il a cessé d’écrire et j’ai cessé de répondre. Les enfants, qui furent au cœur de notre désaccord, ont cessé d’être des enfants. Chacun de nous poursuit sa route à sa convenance.
Le temps a depuis longtemps apaisé les esprits que seul, l’aujourd’hui préoccupe et c’est assez déjà. Laissons la vie, allégée, libérée remplir notre présent à son rythme. Laissons le passé antérieur glisser lentement dans le passé tout simple.
La cheminée ronronne à mes côtés. Et soudain, le feu se déchaîne et ronfle en dévorant le papier qui se tord et noircit et disparaît à tout jamais.
Le sac en raphia baille à mes pieds.
Demain je l’emplirai du thym que j’irai cueillir dans la garrigue proche et qui sent si bon la vie renaissante.